Liam Quinn O'Sullivan, 5e Année, Préfet, BI.

Premier janvier.

Liam se rendit à la volière, comme il le faisait tous les ans, pour souhaiter une bonne année à sa famille. Il ignorait encore quelles mesures seraient prises par l’envoyée du Ministère, la petite bonne femme au goût si particulier pour le rose et les mièvreries qu’elle en devenait écoeurante, et ne se doutait pas un instant que l’antre de la communication serait bientôt inaccessible. Aurait-il réagi autrement s’il l’avait su ? A tout bien y réfléchir, il lui fallait admettre que non. La traditionnelle missive du premier janvier ne visait qu’à une chose : s’assurer que Mère ne le harcèlerait pas de hiboux ou de beuglantes. Ca avait aussi l’avantage de donner une bonne image de lui, et il fallait avouer que ça n’était pas pour lui déplaire. Les gens étaient si faciles à embobiner ! Un visage d’ange, et ils sont prêts à vous donner le bon Dieu sans confession. L’héritier de la famille aux yeux noirs n’était pas près de l’oublier ! Il avait vu sa jumelle à l’œuvre quand ils étaient petits, parfois à son détriment d’ailleurs, et si Liadan avait même réussi à partir en France pour suivre l’enseignement sorcier à Beaux-Bâtons à force de minauderies, il pouvait se targuer d’avoir toujours su préserver l’image du jeune homme de bonne famille bien comme il faut qui lui permettait une place plutôt confortable dans l’école, et lui assurait presque d’être blanchi dans toutes les situations, tant qu’il gardait un minimum de vigilance.

Comme d’habitude, il avait choisi un des grands hiboux de la volière, au plumage aussi sombre que ses prunelles, et regarda un instant le volatile s’éloigner. Que de banalités, dans cette lettre à sa famille ! Il espérait que Père ne se démenait pas trop au travail au détriment de sa santé, et que Mère n’avait pas trop de souci avec les premières dents de Ciara. Pour ce que ça pouvait l’intéresser, en vérité ! La seconde missive qu’il fit partir ce jour-là était autrement plus sincère et pour cause : elle s’adressait à Liadan, sa chère jumelle, « la dame grise », pour laquelle il choisit une chouette tout aussi cendrée. Si leurs physiques n’étaient guère proches, il en était tout autrement de leurs caractères. Liadan était aussi pâle de teint qu’il était mat, et ses cheveux et ses yeux gris lui donnaient un air aérien presque fantomatique en parfaite opposition avec la noirceur du regard et de la chevelure de Liam. Le plus surprenant dans l’histoire, c’était que, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, il ne se dégageait ni froideur de l’apparence de l’une, ni cruauté de celle de l’autre. Chacun, à sa manière, était doté d’un charisme et d’un mystère qui poussait autrui à venir vers soi. Et tous deux avaient rapidement appris à en profiter.

Comme il fallait s’en douter, dans sa dernière lettre, Liadan expliquait comment la Directrice lui avait donné carte blanche pour l’organisation de la soirée de Noël. Une fois encore, elle avait réussi à manipuler les foules pour faire en sorte d’agir à sa guise. Lui avait eu bien moins d’anecdotes à raconter, comme il semblerait que le charme masculin n’agisse pas sur tout un chacun, et surtout pas sur le Directeur, qu’il avait rapidement appris à ne pas tenter de berner sous peine de voir ses manigances se retourner contre lui. Ca n’était arrivé qu’une fois ou deux dans sa première année, mais Liam avait parfaitement retenu la leçon. Qui aurait cru, d’ailleurs, que derrière ses traits fatigués, les prunelles d’acier du vieux sorcier décelaient le moindre détail capable de trahir son interlocuteur ? Au grand soulagement de l’élève de cinquième année, Dumbledore était très souvent absent cette année, et il ne risquait guère d’être surpris par la perspicacité du vieil homme.

Bon. Un devoir de Potions à terminer, et le programme de la journée serait bouclé. Et quel meilleur endroit pour terminer un devoir – ou le faire terminer par quelqu’un d’autre – que la bibliothèque par une froide journée d’hiver ? Non seulement l’endroit restait toute l’année à une température qui convenait parfaitement au jeune irlandais, mais il y régnait encore un silence presque religieux, imposé par la bibliothécaire plutôt rébarbative, mais qui pouvait s’avérer être une alliée de taille quand on savait la caresser dans le sens du poil et quand l’aborder. Liam traversa donc une partie du parc à grandes enjambées, qui, malgré sa silhouette menue, lui donnaient l’air vif et athlétique. Il fallait avouer qu’il n’avait rien d’une armoire à glace, mais cela lui convenait assez. Comment se faire passer pour un parfait petit ange lorsqu’on a la carrure d’un rugbyman ? Les muscles secs qu’il avait développés au cours de nombreuses années à pratiquer l’escrime – sport auquel il s’entraînait encore régulièrement à l’heure actuelle, transfigurant pour l’occasion sa baguette en fleuret – lui avaient déjà bien servis pourtant, d’autant qu’on n’imaginerait pas tant de force dans une si frêle carcasse. Les gens ne savent pas regarder comme il faut. Sauf Dumbledore.

Avec un soupir d’exaspération, l’élève poussa la porte du Hall. La première année, le premier soir, il avait usé de ses muscles, n’ayant ni suffisamment de maîtrise de ses pouvoirs, ni suffisamment de connaissance pour user pleinement de sa toute nouvelle baguette, lorsqu’une grande gigue qui finirait à Griffondor – étonnant – avait raillé sa petite taille. Il en avait été quitte pour un œil au beurre noir, celui-là, et le Directeur avait presque aussitôt remarqué ce que les autres ne semblaient pas pouvoir repérer : le regard haineux que Liam envoyait à son adversaire et sa capacité à se défendre. Quels avaient été ses propos déjà ? « La violence n’engendre que la violence, ce n’est pas ainsi que tu résoudras ces querelles. La force qui sommeille en toi peut trouver bien d’autres voies pour s’exprimer pleinement. Ce sera à toi de choisir lesquelles. Ne l’oublie pas ». Et il avait posé la main sur son épaule avant de regagner la Grande Salle, où les élèves des années supérieures attendaient la cérémonie de répartition avec impatience. Son regard noir se posa sur la double porte, pour l’heure fermée. Quand elle s’était ouverte cette année-là, il avait suivi les autres avec une pointe d’appréhension, mais n’avait rien laissé paraître en gagnant le tabouret au centre de la salle et en s’installant dessus. Le professeur de Métamorphose, McGonagall, avait posé un chapeau noir, aussi rapiécé que délavé, sur son crâne, et il en avait entendu la voix comme à l’intérieur de son esprit.


Il avait eu beau être prévenu, Père et Mère étant déjà passés par là et ayant raconté à leurs deux aînés leurs propres répartitions un nombre incalculable de fois, il avait tout de même été pris d’un doute quand le couvre-chef mité lui avait été retiré. Ce qu’il venait de dire avait-il été entendu par l’assemblée ? D’autres avaient-ils aussi percé à jour son secret ? Son regard sombre s’était porté sur le Directeur qui, comme il l’avait vu faire pour tous les élèves précédemment répartis, l’observait d’un air bienveillant, puis lui signifia d’un geste, appuyé par les propos de McGonagall, d’aller rejoindre sa maison. Son nouveau foyer. Foyer ? « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », disait le dicton. Pour Liam, c’était on ne pouvait plus vrai, et jamais la maison au serpent n’avait vraiment été pour lui comme un foyer. Pas plus que la demeure familiale lorsque Liadan ne s’y trouvait pas.

L’heure n’était plus aux souvenirs et d’un geste de la tête qui fit voleter quelques mèches brunes autour de son visage, l’élève de cinquième année grimpa les marches menant à la bibliothèque. Il y trouverait bien un élève assez malléable pour aider un pauvre cinquième année à réviser les matières essentielles pour les examens du BUSE… et qui lui servirait de scribe par la même occasion pour le devoir de Potions…

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