Se rouler dans la neige ? Non, cela ne faisait pas partie des occupations favorites de la demoiselle Haight. Ce qui était facilement repérable lorsqu'on l'entendait marmonner, emmitouflée dans ses six manteaux et sous ses treize bonnets, qu'il fallait être fou pour sortir, qu'il faisait trop froid et que l'hiver et ses chutes de neiges, c'était vraiment la plaie. Vous ne lui en voudrez pas, mais recevoir une balle glacée sur le museau, demeurer trempée dans le froid pour éternuer à tout va le lendemain ne se trouvait pas figurer parmi la liste de ses priorités. Il était donc complètement hors de question qu'elle mette un pas au dehors. Mais c'eut été trop beau, si ses camarades de dortoirs avaient vu de même.
Le dimanche matin, alors qu'une épaisse couche immaculée avait recouvert le parc dans la nuit, Chloe se décida à ne pas quitter le lit sans avoir comater et marmotter jusqu'à onze heures, si ce n'était midi. Non, môdame, il ne s'agissait pas de paresse, mais de sommeil à rattraper. Ah oui, elle se trouvait en pleine poussée de croissance, la petite... ... ... Comment ça, pas crédible ? Roh, revenons-en plutôt à cette froide matinée dominicale où une douce et gentille jouvencelle aspirait à une tranquille grasse matinée.
Cependant, à sept heures et demie passée, Mary Maloney se réveilla avec un surcroît d'énergie à dépenser. Dans ses bons jours, Chloe supportait assez le caractère hyperactif de sa camarade. En poussant un peu, on se permettait même d'estimer qu'elles s'entendaient bien. Mais avez-vous déjà expérimenté ces fois où une personne bien attentionnée tire brusquement les rideau devant votre petit lit douillet, lance un grand cri surpris et lâche finalement, surexcitée, un grand 'Oooooooooh ! De la neige !' ? Si oui; alors comprendrez-vous sûrement l'inexorable envie de meurtre qui traversa l'esprit de cette adorable Chloe. Remontant sa couverture, celle-ci s'accrocha à son sommeil et préféra ignorer la lumière qui inonda bientôt son lit. Dormir, dormir, dormir. Oui, car à cet instant précis, elle n'avait pas encore perdu tout espoir de paresse intensive jusqu'au repas. Peut-être qu'avec un peu de chance...
... Mais que nenni ! Aussi rapide et vile que la peste, l'information passa de filles en filles et bientôt ce fut tout le dortoir qui s'agita. De la neige ? Mais sortons vite ! Allons donc attraper la pneumonie. Oui, c'est si drôle la neige. Trois minutes suffirent à Morphée pour lâcher prise sur Chloe. Chose qu'elle ne concevait pas. Voyons, le brouhaha, on pouvait le gérer, passer au-delà. Nan, tout allait bien. Elle se rendormirait bientôt.
« Bah, Chloe, tu viens pas ? »
« Hey ! Tu vas pas dormir jusqu'à pas d'heures quand même ! »
« Roh, allez, deboooooooooout ! »
Nan, mais nan, quoi ! Voilà ce que fut le début de la fin. On l'attaqua de tous côtés. Des bras sans pitié la secouèrent. Elle fut sournoisement chatouillée, houspillée et interpellée. Cependant, mes chers lecteurs, je peux fièrement vous annoncer qu'elle se battit bien, la petite Haight. Sa couette retirée ? Elle la récupéra, griffes et ongles sorties. Quasi agilement, elle évita tous ces honteux grili-grili. Et finalement, vers neuf heures, les plus courageuses attaquantes battirent en retraite avec des navrés et navrants 'T'es pas drôle, Chloe'.
Ah, les joies du triomphe. Elle allait enfin se rendormir. Par ici, les rêves sans queues ni têtes, la douce chaleur de la couette et la migraine vers onze heures. Merveilleux, aucun autre mot ne pouvait convenir à la situation. Un dortoir vide, un lit confortable et de longues heures devant. Chloe percevait mal un bonheur plus grand que celui-ci. Par contre, un malheur plus grand…
Un quart d’heure plus tard, la miss Haight se trouvait hors du lit, son uniforme enfilé de travers, cinq pulls et trois écharpes l’accablant. Ses camarades de chambre avait gagné : elle ne se rendormirait pas. Pourtant ce ne fut pas faute d’avoir essayer, mais peu importa combien de fois elle se tourna et se retourna, Chloe ne parvint pas à trouver le sommeil. Voilà, extirpez une marmotte de son hibernation, elle n’y retournera pas. Le regard noir et sa mauvaise humeur remontée à bloc, la Gryffondor gratifia la porte du dortoir d’un violent coup de pied, dévala les escaliers en furie et atteint rapidement le couloir qui menait vers le parc.
« ‘Tain, fait froid. Froid, froid, froid. Taiiiiiiin ! »
Vocabulaire varié pour un cri du cœur. Son pied gauche s’enfonçant dans la neige, Chloe ne mit pas plus d’une seconde avant de parvenir à cette conclusion : ce matin, elle avait bien eu raison de se refuser à risquer un pas à l’extérieur. Plus froid que le parc en cet instant, cela ne pouvait être que le Pôle Nord. Et encore, même pas sûr. Resserrant son manteau et enfouissant son visage dans son écharpe, Chloe progressa difficilement dans ces conditions sibériennes. Sous ses pas, le manteau immaculé craquait. A chaque seconde qui s’égrenait, la demoiselle sentait ses membres comme en train de geler.
Que foutait-elle ici, déjà ? … Bonne question, tiens. En effet, il s’agissait d’un détail sur lequel il fallait se pencher : pourquoi se trouvait-elle ici ? Sur le coup, la demoiselle ne s’était encombrée de la moindre réflexion. Son but était de sortir, de retrouver ses camarades de chambre et de leur faire bouffer le pissenlit par la racine. On ne privait pas de sommeil une Haight ! Car une Haight, ça mord, ça griffe, ça attaque. Enfin, une Haight, ça mordait, ça griffait, ça attaquait.
Chloe se figea au beau milieu de son avancée. A quand remontait la dernière fois où sa colère avait vraiment explosé ? Où elle ne s’était pas maîtrisée ? Il y avait bien longtemps, à vrai dire. Si, si, je vous jure. Et si il lui était parfois arrivé de laisser céder ses barrières de tranquillité, ce n’était certainement pas aux yeux de ses camarades les plus proches. Pas aux yeux de celle qu’elle côtoyait tous les jours. Pourquoi tout gâcher aujourd’hui, et pour une histoire aussi futile ?
Chloe s’était donc agitée pour rien. Chloe était donc sortie pour rien. Chloe se les gélait donc pour rien. Pour rien, juste pour rien.
« Et merde ! »
C’est ainsi que ce dimanche matin, autour de huit heures, l’on pouvait apercevoir une petite silhouette dans la neige. Minuscule et grognon, prête à passer ses nerfs sur le premier individu venu.