Je suis une pétasse. Je suis le symbole éclatant de la persistance du schéma marxiste, l’incarnation des Privilèges, l’effluve capiteux du Capitalisme. Je suis un pur produit de la Think Pink generation, mon credo : sois belle et consomme.
Elle. Vous avez probablement croisé des centaines de filles comme elle. Ça court les rues de Londres cette race de filles. Car ce n’est pas de n’importe quel genre de nana dont on parle. On parle d’une race à part. Le genre qui n’a qu’à claquer des doigts pour que tout lui tombe dans l’assiette sans qu’elle n’ait à bouger ne serait-ce qu’un seul de ses orteils parfaitement pédicurés. Le genre un mètre soixante douze, cinquante deux kilos, des cheveux blonds qui font qu’on dirait qu’elle est tout droit sortie d’une pub de chez Fructis. De grands yeux marrons avec un air tellement innocent qui ne cachent absolument pas son style marie-couche-toi-là qu’elle porte avec fierté. On n’ira pas jusqu’à dire qu’elle a tout de la bimbo siliconée comme on en voit de plus en plus dans notre société, elle arbore avec fierté son peu de formes qui lui donne une poitrine peu développée et des fesses façon planche à pain. Et vous vous dites probablement que ce n’est qu’une petite salope de fille à papa qui n’a rien d’autre que sa paire de talons hauts à six cents livres Sterling, ses cils recouverts de mascara et son sourire hypocrite toutes dents dehors.
Vous avez tort de me sous-estimer, ce sont des armes redoutables, c’est grâce à elles que je dénicherai plus tard un mari au moins aussi riche que papa, condition sine qua non de la poursuite de mon existence si délicieusement et exclusivement futile. La loi du plus riche est toujours la meilleure.
Car ce genre de fille là n’a absolument pas prévu dans le planning déjà bien programmé de sa vie de travailler. Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Non, elle se voit plutôt dans un appartement moderne au bord de la Tamise à passer ses journées à se faire les ongles, à faire les boutiques, à faire chier le monde et à faire des gosses dont elle ne s’occupera même pas. Parce que les mioches, très peu pour elle. Si elle pouvait, elle s’en passerait. Mais monsieur voudra un héritier pour reprendre l’entreprise internationale productrice de chômeurs familiale alors madame n’acceptera qu’à la condition d’engager une bonne femme qu’ils paieront une fortune (ou plutôt une bagatelle pour eux) pour éduquer les morveux qui deviendront à leur tour des ados crevant sous la masse de fric qu’ils auront dans les poches et qu’ils claqueront en Porsche, caviar, champagne et Gucci. Parce que c’est comme ça que ça marche dans leur monde. Monde qui vous est bien entendu totalement fermé. Et vous crevez d’envie de pouvoir ne serait-ce qu’entrapercevoir un bout de leur vie. De sa vie. A Elle.
Et vous qui rêvez de notre opulence éclatante et dorée... ce n’est que du plaqué. Du fric, des bagnoles, des amis, des maisons partout, nos entrées partout... Et on n’a jamais rien à faire. Et on se crache tous à la gueule. La vérité c’est qu’on s’emmerde profondément parce qu’on n’a plus rien à désirer.
La voilà, la différence entre Elle et le reste d’entre Eux. Elle se rend compte que cette existence de luxe et de débauche à la VIP n’est en fait qu’une monocorde répétition de journées d’ennui à toujours faire la même chose. Et ce que vous voyez comme de la consommation à l’état pur et du profit de la pauvreté des autres n’est en fait qu’une tentative parmi d’autres de se sortir de la ronde de l’ennui pour se distraire un tant soit peu. Elle sait. Eux voient le défilement de ces journées de merde qui vous font tant rêver comme la vie. Elle sait que ce n’est pas la vie. Mais elle ne l’échangerait contre rien au monde. Parce que c’est sa nature. C’est comme ça qu’elle a appris à vivre et c’est la seule manière dont elle sait vivre.
Il existe une autre différence entre Elle et Eux. Elle possède une baguette magique et sait s’en servir. Et s’ils savaient que l’étendue de leur pouvoir monétaire ne vaut rien à côté de l’étendue du sien avec un simple bout de bois, ils la détesteraient. Ils la détestent déjà. Ils se détestent tous les uns les autres mais s’aiment à en crever. Et elle les déteste encore plus. Elle les méprise même. Parce qu’ils n’ont rien, ils ne sont rien, à côté de ce qu’elle représente. Et elle garde jalousement son secret pour elle. Toute la haute londonienne est persuadée que Miss Ainsworth a été acceptée dans LA plus prestigieuse école du Royaume-Uni à laquelle aucun des gosses de riches qu’elle fréquente n’a pu mettre un pied et dont vous-même ne pouvez pas rêver la nuit car c’est déjà trop pour vos pauvres langues pendantes. Mais chaque année, depuis maintenant six ans, Elle prend le train en passant par la voie 9 ¾ et va étudier l’art de la sorcellerie à Poudlard. Papa est fier. Maman est jalouse. C’est comme ça que ça fonctionne.
Que dire du bonheur ? Rien. Ça emmerde le monde. Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Nous ne respectons rien ni personne, pas même nous-mêmes et nous nous sentons doués d’un pouvoir unique ; débarrassés à jamais du joug de l’interdit.
Rien ne lui est interdit. Elle a accès à tout. Toutes les portes lui sont ouvertes. Et en pur esprit de contradiction, en fouteuse de merde internationale, en chieuse interplanétaire, elle prend un plaisir monstre à les claquer les unes après les autres, non sans un sourire machiavélique de satisfaction face aux regards d’incompréhension des autres. Détester le monde et se faire détester du monde. Abuser et être désabusée. Parce qu’il n’y a rien de plus jouissif de faire comprendre aux autres ce que l’on sait : que la vie n’est qu’une succession de déceptions et que l’on ne sera jamais comme Elle. Car Elle est unique.
Je suis une pétasse.
NB : Les textes à la première personne sont tirés de
Hell de Lolita Pille, inspirant le personnage.