Je vais bien ne t'en fais pas #PV#

" Petite soeur,
Les mots ne sont pas assez forts pour te dire tout ce que j'ai à te dire, ils se décomposent et ne sont plus que poussière ocre dans ma bouche. Et je sais que nous sommes tous deux liés, plus que tu ne pourrais le croire, plus que ce que l'on peut dire, plus encore que ce même sang qui coule dans nos veines. Et je sais que ta joie de vivre s'amenuise, et je sais que ton sourire se cristallise, et je sais que tu as peur pour moi. Ne deviens pas un fantôme sans couleur, petite soeur...Il n'y a pas de toi sans moi, il n'y a pas de vie pour moi sans ton souffle, alors cesse de t'inquiéter. Les médecins disent que j'aurais une longue hospitalisation, mais tu crois que cela me fait peur, moi le futur grand éleveur de dragon ?

PS : J'ai entendu une conversation entre papa et un employé du Ministère, ils disaient qu'on pouvait rendre des pouvoirs à un cracmol par des procédés très compliqués. De la magie noire peut être, ou de la vieille magie. Tu y crois toi ?

Et je vais bien, ne t'en fais pas
Aaron "

Vingt-trois fois. Elle avait lu la lettre envoyée par son frère au moins vingt trois fois. Usée par les larmes, par quelques déchirures ici et là à force de le porter près de son coeur, usée par le temps qui passe...Usée par la vie.
Saleté d'Ombrage, Tania n'avait sans doute pas ressenti une antipathie aussi forte pour quelqu'un que pour le nouveau auto proclamé professeur. A cause d'elle, Tania ne pouvait ni envoyer ni recevoir des lettres par hibou, ni elle, ni les autres. Mais ne recevant aucune nouvelle, la Serdaigle se sentait dépérir, elle se sentait aspirée par un gouffre qui ne lui apporterait que des ennuis, il ne restait plus qu'à attendre la suite. La passivité, l'agressivité, les crises de larmes, les gestes incontrolés faisaient parti d'elle depuis qu'Aaron avait été déclaré officiellement malade.

Je vais bien ne t'en fais pas. Foutaises. Tania après avoir passé deux semaines sans manger, une journée à l'infirmerie, des nuits d'insomnies, et après avoir vu ses yeux se creuser de cernes et se ternir d'une grande mélancolie, lui avait envoyé ces même mots dans sa dernière lettre, à l'époque où la volière était encore accessible. Autant les mots pouvaient blesser, réconforter, autant ils pouvaient faire peur. Qu'ils soient sincères ou déguisés en une hypocrisie visant à rassurer son destinataire, ils foutaient la trouille par moments. Et pourtant, Tania se sentait rassurée quelque part, tout autant que morte de peur.

Je vais bien ne t'en fais pas. Elle l'espérait. Les bras appuyés sur les murets froids de la tour d'astronomie, Tania fixait le ciel couleur d'encre sans qu'aucune pensée ne vienne se bousculer dans son esprit. Ses yeux allaient d'une étoile à l'autre, se demandant si Aaron les fixait lui aussi, là bas en Irlande. Les paroles de son père lui revinrent en mémoire, les même qu'il répétait souvent, et qu'on ne comprenait pas dans l'instant. Et en fixant les étoiles, Tania se souvint de quelque chose qui lui paraissait juste ; qu'il y avait la beauté qui sautait aux yeux, et celle qui se lisait en filigrane. Pour la Serdaigle, il en allait de même avec l'appétit de vivre, celui de Tania sautait aux yeux, celui d'Aaron était bien caché, mais il était là. Alors elle esquissa un sourire, puisqu'il allait se battre.

"Les médecins disent que j'aurais une longue hospitalisation, mais tu crois que cela me fait peur, moi le futur grand éleveur de dragon ?" Mais non Aaron, je sais bien que ça ne te fais pas peur. Non, ça me fait peur à moi...

Soupir. Ses yeux se posèrent de nouveau sur sa lettre froissée. Je vais bien ne t'en fais pas. Mais non c'est faux... Bon sang Tania, t'es aveugle ou quoi ? Tuberculose pulmonaire ! Ca se soigne pas comme ça.... La jeune fille essuya d'un revers de main une larme coulant sur son visage, mais une autre perle salée vint tomber sur le parchemin. Et elle restait là, à ne rien faire...Mais que pouvait-elle faire de plus ? La Serdaigle fouilla dans son sac, sortit un morceau de papier ainsi qu'une plume et commença à écrire sa lettre pour son grand frère.

" Aaron ,

A coeur vaillant rien d'impossible, je sais que tu y arriveras..."

|| Tania || C'est nul...

Elle gribouilla son nom, puis raya toute la lettre avec force, si bien qu'elle troua le papier jaunit par endroits, avant d'en faire une boule qu'elle jeta du haut de la tour. Enfin, la jeune fille s'assit à terre, le dos appuyé contre le mur. Quelle heure pouvait-il être, 19H ? Et bien au diable le couvre feu, au diable les retenues s'il devait en avoir, au diable tout le reste. Tania ressortit sa lettre, tandis qu'elle entendit quelqu'un se rapprocher d'elle, mais ses yeux de jais restèrent concentrés sur le parchemin.

"Ils disaient qu'on pouvait rendre des pouvoirs à un cracmol par des procédés très compliqués. De la magie noire peut être, ou de la vieille magie. Tu y crois toi ?"

|| Tania || Bien sûr que j'y crois, murmura-t-elle.

De la magie noire ? Etait-cela qu'il fallait pour redonner des pouvoirs à son frère ? Ses yeux se posèrent au loin, et sans même faire attention, elle lâcha quelques mots.

|| Tania || De la magie noire...

Et sur cette magie reposait ses derniers espoirs.

|| ??? || La Magie noire c’est pour ceux qui sont trop lâches pour affronter leurs problèmes honnêtement.

Petit temps de réflexion, quelques minutes avant de se rendre compte que quelqu'un lui parlait, à elle, la fille qui avait le regard perdu au loin, plongée dans ses pensées obscures. Avec cet air d'en savoir trop et pas assez, le coeur tout plein d'un grand vide. Les yeux de Tania parcoururent une dernière fois le parchemin qu'elle avait dans les mains avant de les lever vers cette voix qui lui était inconnue. Si elle avait été de mauvaise foi, la jeune fille lui aurait répondu "si tu le dis", si elle avait été de nature froide et indifférente, elle aurait réorqué "qu'est-ce que ça peut te faire", et peut être même que si elle se foutait éperdument des autres, elle se serait levée sans un mot et serait sortie de la tour. N'ayant absolumment aucun de ces caractères, Tania lui offrit un petit sourire gêné. Gêne de se livrer involontairement à un inconnu, gêne d'avoir été surprise à parler toute seule, gêne peut être aussi d'avoir été entendue sur le compte de la magie noire.

Les genoux ramenés contre sa poitrine, les bras tendus sur ceux-ci, Tania jouait avec la lettre qu'elle avait roulée sur elle même, une mèche de cheveux sur les yeux. La jeune fille put alors essuyer une larme sous sa chevelure chatain, un sourire pour effacer les perles humides coulant sur ses joues.

|| Tania || Oui c'est vrai, tu as sûrement raison... Mais il y a peu de gens honnêtes sur cette terre, encore moins chez les soricers.

Je vais bien ne t'en fais pas, je vais bien ne t'en fais pas, je vais bien.... Cette même phrase lui parvenant en écho dans sa tête, comme si à l'instar de ce que les Moldus appelaient Satan, les mots entraient en son esprit pour la posséder.

||Tania || Tu crois que les gens disent tous qu'ils vont bien même si c'est pas le cas, ou c'est moi qui me fait des idées ?

Questions étrange, un peu à vif, mais elle n'avait pu retenir ses mots. La dureté du sol n'était pas franchement confortable, aussi Tania se releva afin de se mettre plus à son aise. Elle épousseta sa robe de sorcier, s'étira dans toute sa longueur et s'adossa au petit muret de la tour d'astronomie. Afin de dédramatiser la situation, Tania sortit une boutade qui fusa spontanément.

|| Tania || Tu crois que y a moyen de livrer Ombrage aux harpies ? Il doit bien en avoir dans la forêt tu crois pas ? Non en fait... elle jeta un bref coup d'oeil à la lettre qu'elle avait en main, j'aimerai bien pouvoir écrire à mon frère. Mais avec les restrictions du vieux crapeau on ne peut plus envoyer de hiboux. Tu trouves ça normal toi ?

Le vieux crapeau alias Ombrage était un surnom connu de tous les élèves. S'y ajoutait notamment "vieille chouette", "la meringue en rose" , et encore bien d'autres surnoms peu recommandables aux oreilles n'ayant pas l'habitude des plus belles insultes. De nouveau Tania posa ses yeux sur le Serpentard en face d'elle, un seul coup d'oeil suffisait à voir qu'il n'allait pas bien .Stressé peut être... Ne le connaissant pas, elle se voyait mal lui demander ainsi "qu'est-ce que t'as ? " Néanmoins il était toujours un peu gênant d'être en compagnie de quelqu'un à l'air morose, qu'on la connaisse ou non. C'était ça, l'humanité : une ampathie faible ou forte, mais présence en tous les cas. Il était plus judicieux de déguiser la question.

|| Tania || Tu viens faire quoi sur la tour, si c'est pas indiscret ? En général à cette heure-ci on trouve surtout des couples qui roucoulent dans les coins...

Elle ne lui répondit pas de suite. Elle semblait loin, vraiment loin de l’endroit où ils se trouvaient. Plongée ainsi dans ses réflexions, le regard dans le vide, l’air si absent, les traits tirés, elle lui rappelait la jeune fille qui était au centre de ses préoccupations ce soir-là. Là, et à la fois complètement ailleurs. Une présence indéniable et pourtant, cette impression qu’elle pourrait disparaître en l’espace d’une seconde. Si belle, et en même temps si affectée par ses problèmes qu’elle en perdait son charme. Mystérieuse. Plus il la regardait, plus il avait l’impression de voir Emily à sa place. Et c’était peut-être la raison pour laquelle il n’avait pas envie de l’ignorer et de passer son chemin comme il l’aurait sans doute fait pour n’importe qui d’autre. Car disons-le franchement, Joshua n’était pas du genre à se préoccuper du reste du monde. Sauf quand il s’agissait de ses proches. Et cette fille, juste devant lui, ressemblait étrangement à sa sœur de cœur ce soir-là.

C’est pourquoi il resta silencieux un moment, le temps pour elle de prendre conscience du monde qui l’entour ait, d’essuyer son visage noyé de larmes et de réagir à sa réflexion. La Magie noire n’est sans aucun doute bonne pour personne. Il y avait toujours une solution. Mais peut-être que dans un moment de désespoir, elle l’avait vue comme la seule issue possible. A lui de lui montrer que la lâcheté n’était pas la meilleure solution.

Il y a peu de gens honnêtes c’est vrai. Mais se rabaisser à leur niveau, c’est être pire qu’eux...

Il lui offrit un sourire pour compléter sa phrase, comme un point final. Il ne lui donnait pas de choix d’interprétation, c’était comme ça un point c’est tout. Ne jamais se rabaisser au niveau des gens qu’on méprise. Il savait de quoi il parlait. Ses pensées divaguèrent l’espace d’un instant vers Emily et de l’erreur qu’il avait faite en voulant prendre les choses en main. Mais la voix de la jeune fille se rappela à lui comme un appel à l’aide. A sa question, Joshua ne put retenir un sourire amusé. Je vais bien ne t’en fais pas. Il la connaissait par cœur cette rengaine. Et il savait que ça ne valait rien.

Tu ne te fais pas des idées. Ils le font. Et en plus ils croient qu’on va avaler leurs histoires.

Comme s’ils étaient assez stupides pour croire que ça allait bien. Comme s’il était assez stupide pour croire qu’elle allait bien. Mais il savait pourquoi elle faisait ça. Pour se convaincre elle-même. Pour qu’il ne s’inquiète pas. Pour qu’il arrête de la saouler avec ça. Pour éviter d’en parler. Pour enterrer le problème qui ressortira bien de toute façon un jour. Une sorte de sursis. Sans savoir que ça sera pire le jour où ça éclatera.

Il la regarda se lever avec toute la grâce dont une fille avec des traces de larmes séchées sur les joues pouvait faire preuve et s’adosser à la rambarde. Se sentant un peu con ainsi posté, debout en face d’elle, il se décida à l’accompagner et alla lui aussi s’appuyer contre la balustrade à côté d’elle. Ombrage. Mamie-crapaud. Quel rapport entre le batracien le plus haï de Poudlard et cette fille ? Joshua n’en avait aucune idée mais l’histoire des harpies lui plaisait assez. A méditer... Il y avait sûrement de nombreuses personnes à Poudlard qui seraient ravies de participer.

Non. Moi aussi j’aimerais écrire à ma famille.

A l’autre bout du monde. Ils n’imaginaient même pas la situation de Poudlard. Les mesures drastiques de la vieille folle. Il avait promis à Matt de le tenir au courant. Et à ses parents d’écrire. Tous allaient s’inquiéter en ne voyant rien arriver. Si on voyait une arrivée en masse d’australiens à l’œil furibond à la recherche de Joshua Burnett dans les semaines qui venaient, il n’y aurait rien d’étonnant à ça. Et ce n’était pas pour amuser le jeune homme.

Sentant le regard de la Serdaigle – qu’il avait reconnue à son blason, il commençait à comprendre de mieux en mieux le fonctionnement de cette école – sur lui, il tourna les yeux vers elle. Elle avait raison de ne pas lui sortir « qu’est-ce que t’as ». Ce « qu’est-ce que t’as » ça peut vous retourner la maison [Gad *o*]. Elle opta pour quelque chose de plus judicieux, de plus subtile. Il lui répondit par un de ses sourires dont lui seul avait le secret, une lueur enfantine sur le visage.

Qui te dit que ce n’est pas le cas ? J’ai peut-être rendez-vous avec une grande blonde pour me distraire...

Okay, pas crédible. Soit, mais l’humour n’avait jamais été son fort, surtout passées dix heures du soir. Une grande blonde... la belle affaire. A croire qu’il n’avait que des grandes blondes devant les yeux. Peut-être une... Non.

Je me suis perdu. Je connais pas très bien les lieux.

Besoin de se justifier. Pour ne pas passer pour l’abruti de service qui ne sait même pas se diriger dans Poudlard à dix-neuf ans. Mais il avait une excuse, il n’était là que depuis... deux mois. Déjà. Il avait l’impression que ça faisait plus. Mais toujours était-il qu’après deux mois, on ne peut pas connaître Poudlard c’est épistémologiquement impossible. Elle le comprendrait sûrement, après tout, elle avait bien dû se perdre une fois dans sa vie dans ce labyrinthe.

Je m’appelle Joshua.